Le rastafarisme sort de l’ombre en Jamaïque

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BULL BAY, Jamaïque – Vêtu d’une longue aube blanche, le prêtre rastafari regarde les eaux turquoise briller sous le soleil jamaïcain. Plein de ferveur, il dit sa croyance en une délivrance proche.

Autour de lui, la communauté Bobo Ashanti s’étend, tentaculaire, au sommet d’une colline isolée, symbole d’un culte longtemps dans l’ombre, mais aujourd’hui en croissance.

Le rastafarisme, mélange d’enseignements de l’Ancien Testament et de panafricanisme, est né dans la Jamaïque colonisée des années 1930, de la colère des Noirs oppressés. Les musiciens Bob Marley, Peter Tosh et Burning Spear entre autres l’ont popularisé par la suite.

La plupart des adeptes vénèrent l’ancien empereur éthiopien Haïlé Sélassié, dont le nom de naissance était Ras Tafari. Son accession au pouvoir correspondait à une prédiction du dirigeant nationaliste jamaïcain Marcus Garvey.

Au sein de Bobo Ashanti, quelques femmes et environ 200 hommes, tunique au vent et dreadlocks rassemblées dans un turban, prient, jeûnent et fabriquent des balais artisanaux. Ils fument aussi du cannabis, dans le cadre d’un rituel religieux.

«L’église rasta est en pleine ascension», déclare le prêtre Morant, dont l’aube est brodée des mots «The Black Christ» (le «Christ noir»). Il ajoute: «Il n’y a rien qui puisse faire revenir en arrière.»

Une hausse de 20 pour cent en dix ans

La foi rastafarie a progressé d’environ 20 pour cent en dix ans pour atteindre le nombre de plus de 29 000 croyants, selon un récent recensement. Dans un pays de 2,7 millions d’habitants, cela représente un pour cent de la population.

Mais Jalani Niaah, enseignant à l’université West Indies à Mona (Jamaïque), pense que les adeptes de ce culte représentent plutôt huit à dix pour cent des Jamaïcains car beaucoup d’entre eux dédaignent les initiatives gouvernementales et ne répondent pas aux recenseurs. Dans le monde, selon les universitaires, un million de personnes y adhèrent.

Longtemps, les rastafaris ont été stigmatisés en Jamaïque et dans les autres îles des Caraïbes. Mais selon Tony Rebel, un rastafari et une grande figure du reggae, la discrimination dont ils étaient victimes s’est atténuée ces dernières années.

«Cette ambiance discriminatoire s’est apaisée. Mais pour autant, on ne voit toujours personne avec des dreadlocks travailler dans une banque ou dans la police, comme on le verrait en Amérique ou ailleurs», estime-t-il.

Le premier député coiffé de dreadlocks n’est entré au Parlement jamaïcain que l’année dernière. Et pour Jalani Niaah, «il y a toujours toute une partie de la société qui considère les rastafaris comme délirants, et ceci est largement dû aux affirmations sur l’empereur Haïlé Sélassié et aussi la consommation de (cannabis) et l’idée de rapatriement».

Vie frugale

Les membres de la communauté Bobo Ashanti vivent leur foi en menant une vie frugale dénuée de liens avec «Babylone», le terme réprobateur pour désigner l’Occident.

Éloignés de la vie occidentale moderne, ils voient dans la Jamaïque un havre temporaire jusqu’à ce que la prophétie s’accomplisse et qu’ils voguent dans de grands bateaux vers la terre promise de l’Afrique.

Les règles de vie sont strictes dans la communauté mais Adrian Dunkley, 27 ans, est enthousiaste. Le jeune homme a rejoint Bobo Ashanti il y a deux mois après avoir eu des difficultés à trouver du travail en tant que tapissier.

«Ce lieu m’aide énormément. J’apprends tous les jours, et les choses commencent à prendre du sens», raconte celui qui se fait surnommer Prince Adrian, à l’ombre de l’une des baraques de planches peintes en rouge, vert et or.

Le rastafarisme «est particulièrement séduisant pour les jeunes hommes, surtout en l’absence de sources alternatives de développement», analyse Jalani Niaah. Face au manque de perspectives pour les jeunes jamaïcains et à leur acceptation de plus en plus grande de la situation, le rejet du matérialisme occidental paraît séduisant.

Certains adeptes affichent un mode de plus en plus séculier. Mais toujours, ils ont l’amour de la justice sociale, de la nature, du reggae et de la consommation de cannabis pour les rapprocher du divin.

«J’apprends beaucoup sur Rastafari et notre patrimoine», témoigne Prince Xavier, un Français de 27 ans. Coiffé d’un haut turban rouge, il insiste: «C’est une question de vie ou de mort.»

By

David McFadden / The Associated Press


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